Exclusif ! De passage à Paris « la ville lumière », le Ministre guinéen de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat, Alpha SOUMAH nous déballe son plan d’action opérationnel et ses grandes orientations. Lisez l’intégralité de cette interview sans filtre.
Interview réalisée par ©Sita CAMARA / Photo : Sitanews. Cliché pris au Salon mondial du tourisme à la Porte de Versailles (Paris)
Sitanews© : Bonjour Monsieur le Ministre. Vous êtes à Paris dans le cadre de la 45e édition du Salon mondial du tourisme. Quels sont les enjeux de ce rendez-vous majeur pour la Guinée ?
Ministre [A. Soumah] : « C’est dans le cadre du retour de la Guinée dans les salons prestigieux. Ce Salon mondial du tourisme à Paris est l’un des plus grands salons. Ça fait des années que nous ne sommes pas présents. Dans le cadre de la relance de nos activités au niveau de notre département du tourisme, il est question pour nous de reprendre le chemin des grands rendez-vous. C’est ce qui nous a conduit ici, à Paris. Cette fois-ci, nous avons réservé un grand stand. Ce stand a été animé d’abord par les exposants qui sont venus avec nous. C’est-à-dire, les cadres du département dont la Directrice générale de l’ONT (Office National du Tourisme
NDLR) Kadé Camara. Ce stand a été aussi animé par la communauté guinéenne qui est venue en renfort. Ces compatriotes nous ont appuyés afin que notre participation à ce salon soit une réussite totale. Je pense que notre stand a été bien valorisé et cela nous va droit au cœur. »
N'est-ce pas, vous avez noué des contacts stratégiques au cours de ce salon ?
«
Oui, j’avoue que nous avons trouvé beaucoup de contacts stratégiques. Nous avons eu assez de propositions. Nous avons reçu la forte délégation du MEDEF (Mouvement des Entreprises de France
NDLR) - des ingénieurs en bâtiment écologie - des constructeurs en matière d’écotourisme - et puis, éventuellement, des étudiants qui veulent expérimenter des idées en Guinée dans le domaine du tourisme. Donc, il y a beaucoup de contacts positifs qu’il va falloir concrétiser. »
Vous étiez en tournée à l’intérieur du pays (Guinée) avant de venir à Paris. Qu’est-ce qui justifie ce périple ?
« D’abord, je tiens à préciser que je n’étais pas en état des lieux. J’étais à l’intérieur du pays pour relancer des chantiers qui étaient à l’arrêt depuis longtemps pour plusieurs raisons. Ce voyage à l’intérieur pays s’explique également par le lancement d’autres nouveaux projets que nous avons initiés. Par exemple : à Kindia, nous avons un projet avec Enabel (Agence belge de développement
NDLR). Ce projet consiste à créer
une énergie verte autour du
Mont Gangan. Ensuite, nous sommes allés à Labé pour poser la première pierre du
Village artisanal.
A Faranah, nous avons les travaux de restauration de la
Cité du Niger qui sont en cours. A ce niveau, nous avons rassuré l’entrepreneur qui, à son tour, s’est engagé à finir les travaux très bientôt.
Nous sommes ensuite partis à Lola pour lancer la construction d'un
Village artisanal. Ce projet s’inscrit dans le cadre du projet du Gouvernement appelé DTS (Droit de Tirages Spéciaux
NDLR).
Notre mission nous a aussi conduit à Niagassola (en Haute Guinée, précisément à Siguiri
NDLR). Ici, nous avons assisté aux obsèques du
Doyen El hadj Filany Sékou Kouyaté de la famille
Balatigui.
Sur le chemin du retour, nous avons fait escale à Kankan pour relancer le
Centre multiculturel de la Mamaya. Ce grand centre va abriter d’abord l’espace de danse de la Mamaya chaque année mais aussi, des grandes salles sportives avec toutes les commodités à l’appui. Par exemple des latrines etc., y compris des salles de conférence et de formation. C’est un gros projet qui va participer au développement socio-culturel de cette ville. »
Dites-nous Monsieur le ministre, est-ce que la construction d’un palais de la culture en Guinée est inscrite dans les priorités de votre plan d'action ?
« Je vais vous rassurer. Dans ma feuille de route, le Président de la République (le Colonel Mamady Doumbouya
NDLR) et le Chef du Gouvernement (Mohamed Béavogui NDLR) ont tenu à ce que je construise
un Musée moderne qui va intégrer aussi
un Palais de la Culture et un
monument à l’honneur du
Nimba qui est le symbole de la
déesse et de la
fécondité. »
Où et quand ce projet va-t-il être réalisé ?
« Nous allons bientôt lancer un appel d’offres pour ce gros projet. Et nous comptons le faire à Conakry où dans les environs. Mais ce sera un grand Musée moderne qui permettra justement dans le cadre de la préservation et de la valorisation de notre patrimoine culturel et historique, de rapatrier nos biens qui sont ailleurs et de les conserver de manière classique et moderne. »
Monsieur le ministre, qu’en est-il avec l’inventaire général du patrimoine historique et culturel en Guinée ?
« C’est déjà fait. Mais c’est parce qu’il n’y a pas eu de vulgarisation. Si vous vous approchez de la Direction du patrimoine historique du département, vous trouverez qu’il y a beaucoup de choses qui ont été faites. C’est parce que c'est un travail de spécialiste. Mais tous ceux qui s’y intéressent trouveront leur compte. Mais effectivement, il doit y avoir de la vulgarisation au niveau du grand public. Aujourd’hui, nous avons des patrimoines classés
Patrimoine Mondial de l’UNESCO notamment le
Sosso-Balla et le
Mont Nimba. Nous sommes en train de travailler sur le projet de vulgarisation des textes liés au patrimoine. Cela, pour la conservation, le rapatriement, la valorisation et l’inventaire de nos biens. L’aboutissement de ce travail est la production d’un document professionnel qui servira d’outil pédagogique pour les professionnels du secteur : de la dénomination - la nomenclature jusqu’à la fouille archéologique etc. Mais je vous rassure que l’inventaire est déjà fait. »
Le FODAC (Fonds du développement des arts et de la culture) a toujours souffert du manque criard de subvention. Connaissez-vous cette situation ? Et que faites-vous pour bien faire fonctionner ce service très utile ?
« Oui bien sûr. Il faut savoir qu’il y a neuf (9) OPA (Organisme public administratif
NDLR) qui dépendent de mon ministère. A savoir :
l’Agence guinéenne de spectacles, le Bureau guinéen du droit d’auteur, le Centre de lecture et d’animation, l'Office national du Cinéma, l'Office national du tourisme. Aussi, vous avez un autre OPA qui est lié à la
percussion et tant d’autres. Ce sont des entreprises publiques qui ont été créées comme des structures d’appui pour le département de tutelle.
Mais malheureusement, j’ai trouvé qu’aucune de ces entreprises publiques n’avait un statut. Et ça, vous pouvez le vérifier. Alors, comme on parle de refondation de l’État, depuis janvier, je me suis attelé avec mes cadres en interne, à travailler sur ces structures. Parce que là, on parle d’un problème de gouvernance et de refondation de l’État. »
Où en sommes-nous avec ce travail ?
« Nous vous informons qu’aujourd’hui, nous avons bouclé sur ces entreprises publiques. Parallèlement à ça, nous avons aussi travaillé sur les droits d’auteur. En matière d’art, quel que soit ce qu’on veut, si les artistes n’ont pas leurs droits, ça n’a pas de sens.
" (...) Cette taxe permettra aux artistes de percevoir les droits sur la copie privée"
A mon arrivée, j’ai trouvé une loi qui a été votée par le Professeur Alpha Condé en 2018. Cette loi devait permettre aux artistes d’avoir non seulement les droits d’auteur classiques, c’est-à-dire ce que l’État donne, mais aussi de pouvoir bénéficier des droits des télés, des radios, des Night-clubs. Grosso modo, toutes les autres chaînes câblées et surtout, les droits sur la copie privée qui est très difficile à maîtriser. Mais pour amortir tout cela, tout support qui rentrera à la douane, tout ce qui comporte un disque dur ou n’importe quelle mémoire pour stocker de la musique sera taxée. Cette taxe permettra aux artistes de percevoir ce qu’on appelle : les droits sur la copie privée. »
Et qu’en est-il avec les droits voisins ?
« Pour l’acquisition des droits voisins, nous avons réglementé. Nous avons des signatures conjointes qui ont été faites avec d’autres départements comme l’Économie et des Finances, et surtout l’accord avec la douane. Une fois que tout cela est effectif, on peut dire que la propriété intellectuelle est protégée, qu’elle soit la littérature ou la création artistique. En ce moment-là, on peut avoir des droits conséquents, tout en vous rappelant que le FODAC est assujetti à cela. C’est-à-dire, vous aurez jusqu’à 25 ou 30% des droits du BGDA qui vont alimenter les caisses du FODAC. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Donc le FODAC, pratiquement n’a pas de moyens pour le moment de financer les projets. Une fois que les droits sont importants au BGDA, le FODAC va commencer à tourner dans sa bonne vitesse de rotation. Mais d’abord, il y a des préalables. »
Pour vous, quelles sont les mesures d’urgence pour un véritable essor du secteur des arts et de la culture en Guinée ?
« Quand je suis nommé, j’ai constaté que dans le département, on ne tient pas compte des
ICC (Industries culturelles et créatives NDLR). C’est un programme durable qui est aujourd’hui financé par les partenaires de développement en matière de culture. Parce qu’on a compris que l’art et la culture sont devenus des éléments de gaité, mais ils n’ont jamais été considérés comme des secteurs porteurs de croissance. Pour cela, j’ai demandé que dans le nouvel organigramme du ministère de la culture, du tourisme et de l’artisanat, qu’on intègre un
Service national des industries culturelles et créatives en abrégé
ICC. »
Quels seront les avantages de ces ICC Monsieur le Ministre ? Expliquez-nous-en !
"(...) Il n’y a que les ICC qu’il faut tenir en compte"
« Les ICC permettent de créer des grands patrons en matière de culture. Les ICC sont entre autres : la mode, le design, l’audio-visuel, etc. mais aussi des métiers du spectacle des arts en général. Avec les ICC, nous allons avoir des programmes de formation, mais aussi des programmes de financement des projets à la fois en Guinée et ailleurs. Mais il faut un service qui s’occupe de tout le mécanisme. Nous avons démarré cette expérience - elle a été validée - le projet de décret est passé, et nous sommes en train de travailler sur les postes dans ce Service national puis, recruter et commencer à le faire fonctionner.
De nos jours, en matière de développement dans la culture, il n’y a que les ICC qu’il faut tenir en compte. Ils créent de la richesse. Au lieu de parler de la promotion culturelle, on parlera d’industries culturelles créatives. »
Nous allons parler à présent d’un sujet qui a fait les choux gras de la presse guinéenne. Il s’agit de la poursuite de l’ancien Directeur général du BGDA, Abass Bangoura et autres pour les faits de détournement présumé. Cette « sulfureuse » affaire a-t-elle été déclenchée par vous Monsieur le Ministre ?
"Moi j’ai trouvé une situation en place (...)"
« Même pas ! Pas du tout ! Ma vocation n’est pas de virer les gens. Moi j’ai trouvé une situation en place. Mais si on reproche quoi que ce soit à quelqu’un, je ne suis pas là pour protéger les gens. J’ai trouvé qu’il y avait des enquêtes en cours. Ces gens avaient été interpellés avant même que je ne sois nommé. Il s’est révélé qu’il y avait des malversations financières et les décisions ont été prises. Tout cela ne relève pas de moi, mais plutôt d’un audit qui a été fait avant mon arrivée au ministère de la culture, du tourisme et de l’artisanat. »
Encore une autre affaire qui a même été exposée en Conseil des Ministres. C’est bien un « détournement présumé » au niveau de votre service financier. Peut-on en savoir davantage ?
« D’habitude, vous avez des comptables ou des DAF (Directeurs administratifs et financiers,
NDLR) qui vont pour des retraits à la banque. Cela, une fois qu’il est accepté que le décaissement soit effectué. Alors qu’est-ce qui s’est passé ? Je vous explique. Le Chef Comptable qui venait de la culture pour aller faire un retrait à la Banque Centrale, à son retour, il a mis en marche une combine avec un certain complice pour dire qu’il a perdu l’argent. »
A combien s’élève le montant disparu ?
« C’est dans les
800 millions de francs guinéens. Le Chef Comptable a fait exprès de se garer devant une direction des investigations de la Gendarmerie à côté de mon département. Il a laissé son véhicule sous prétexte qu’il va pour un besoin urgent. Selon lui, il aurait laissé l’argent (800 millions et quelques) dans le véhicule. Quand il est revenu, selon lui toujours,
il n’a pas trouvé l’argent. Qu’il est rentré dans la gendarmerie pour porter plainte. C’est là qu’ils l’ont chopé. Pendant que nous, nous l’attendions au département pour payer des dettes. La Gendarmerie a demandé mon avis, j’ai dit :
gardez-le. Par la suite, on a contacté l’Agent judiciaire de l’État qui est en train de faire ses investigations. En attendant, il est gardé au chaud. »
Merci Monsieur le Ministre d’avoir répondu à toutes nos questions.
C’est moi qui vous remercie
Par
Sitanews©