Moïse Premier : « C’était une façon pour moi, non seulement de féliciter la nouvelle ministre mais aussi, d’attirer son attention sur certains points. Et qu’elle sache qu’elle vient sur un terrain miné, très glissant et rempli d’hypocrites. Ensuite, lui dire qu’il y a plusieurs ministres qui l'ont précédée à ce département, mais que ce secteur a encore des plaies incurables. C’est-à-dire, des problèmes qui n’ont toujours pas de solutions.
Alors, ce ‘’liveFacebook’’ était une façon de dire à la Ministre de ne pas rentrer dans ce cercle vicieux. De ne pas accepter de se faire entourer par des gens qu’on a toujours connus. Donc, qu’elle essaye d’autres personnes aussi. Parce que dès sa nomination, on avait commencé à voir tout de suite des têtes, des voix qui se lèvent pour dire : « oui, c’est ma sœur, c’est mère adoptive, c’est ma tante, ou on a grandi ensemble ». Ce n’est pas du tout mal. Je respecte ces relations. Mais, il faut que la Ministre sache que ce département de la culture n’a pas besoin des népotistes et des hypocrites autour. Ce département a besoin plutôt des technocrates, des connaisseurs de la chose. Cela, pour pouvoir faire avancer les choses pour le bonheur de toutes et tous.
Mon ‘’liveFacebook’’ était ma manière de faire comprendre à la Ministre que « oui ! Coucou ! Tata, on est là aussi, on vous suit de près. Vous portez beaucoup d’espoirs et que c’est une première, à ce que je sache, qu’une femme pilote ce ministère ». C’était notre façon de lui dire qu’on la soutient mais qu'on la suit aussi de plus près. Parce qu’on ne va pas se laisser distraire. Vu que le ministère de la culture est dissocié de celui des sports, donc, il va falloir prochainement que la culture se prenne en charge, et que celle qui vient la diriger, la dirige d’une main forte. Cela, afin que notre secteur puisse prendre sa place d’antan dans le monde ».
Moïse Premier : « Justement, voilà les choses que je craignais et qui ont motivé le ‘’liveFacebook’’ que j’avais fait dès sa nomination. Voilà de quoi j’avais peur. Mais apparemment, j’avais vraiment raison de m’inquiéter et d’avoir des craintes. Moi, je ne peux pas admettre que jusqu’à présent, la dame Sona Konaté n’a pas de siège pour loger son ministère. Cela veut dire que le département de la culture n’a aucun poids au sein du gouvernement. Je suis attristé de savoir que le ministère de la culture est relégué au second plan jusqu’à ce point.
Un ministère d’abord, c’est son siège. Et si encore, notre ministre continue toujours de partager les mêmes cadres avec le ministère des sports, ça veut dire qu’on a nommé Sona Konaté à la culture, juste pour la distraire. Mais qu’elle sache qu’on a besoin qu’elle se lève. Qu’elle tape le poing sur la table. Qu’elle nous prouve maintenant de quoi elle est capable.
Ses 100 premiers jours sont passés à la tête de la culture. Avec tout le respect que je lui dois, qu’elle ne fasse pas comme ses prédécesseurs. Il faut qu’elle fasse de telle sorte qu’elle marque son passage au ministère de la culture, des traces indélébiles. Mais, si c’est pour venir jouer le jeu et nous distraire, je crois que ce serait un rêve utopique pour la jeunesse guinéenne qui veut que sa culture reprenne de plus belle.
Ce pays a toujours eu comme soft power, SA CULTURE. Le feu Président Ahmed Sékou Touré a su mettre des politiques et des stratégies en place. Cela, à travers des cadres puissants pour donner une force à notre culture de manière globale et globalisante. Que ce soit l’art- la peinture- la danse- la percussion- la musique etc. Ce furent des vraies politiques culturelles et artistiques qui, à un moment donné de l’histoire de notre pays, ont réussi à payer nos fonctionnaires. On ne peut pas nier cela.
Les pays africains qui se sont inspirés de la Guinée pendant de longues années, et je suis choqué de voir aujourd’hui, que nos artistes, nos créateurs prennent ces pays-là comme pays de référence. C’est aberrant et choquant pour moi. Je suis sidéré de voir aujourd’hui que la Guinée ne brille pas dans le concert des grandes nations en matière de culture.
Qu’on ne me parle plus de Corona. Son Excellence, le Professeur Alpha Condé a montré sa volonté pour la culture. Car, il a choisi des hommes pour exécuter cette politique culturelle qu’il a mise en place. Alors, s’il y a incapacité d’exécution, je pense qu’il ne faut plus accuser le Chef, mais plutôt les hommes qui sont placés aux instances de décision du département concerné. Donc, il faut que ça s’arrête un moment ! »
Moïse Premier : « Ce silence de Madame la ministre veut tout dire. « Qui ne dit rien consent », dit-on. Le silence de Sona Konaté face à tous ces problèmes m’écœure. A ce que je sache, si elle fait des actions pour que la situation change, c’est peut-être à l’interne là-bas. En tout cas, nous, on ne voit rien, ce n’est pas visible.
Et je suis choqué de voir des pays comme le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, la Sierra Leone, le Libéria tout près de nous, sont aujourd’hui, en train de redémarrer leurs activités culturelles. Les Ministres chargés de la culture dans ces pays ont redéfini les nouvelles politiques et stratégies liées à la relance culturelle. Et que nous en Guinée, jusqu’à présent, on est dans ce silence très caverneux de Son Excellence Madame la ministre.
A mon humble avis, elle aussi, est en train de faire couler le temps pendant que les activités culturelles ne bougent pas. Cela n’empêche pas qu’elle touche son salaire. Ce qu’elle oublie, le salaire qu’elle prend, c’est l’argent du contribuable guinéen. Alors, qu’elle sache aussi, qu’il y a des gens qui ne touchent pas leurs salaires, parce que leurs activités sont bloquées. Qu’elle sache qu’il y a des gens qui n’ont plus de vie, parce que leurs activités sont suspendues. Qu’elle sache que les auxiliaires de spectacles à savoir : les bagagistes, les animateurs, les vendeurs de tickets, nombreuses femmes vendeuses de cacahuètes et de l’eau glacée… vivent de ces spectacles. Mais comme elle (Ministre Sona Konaté), à ce que je sache, n’a aucune agence de spectacles, elle n’a pas d’entreprise qui œuvre dans le secteur de la culture, elle n’a pas d’attache à la culture, donc ça ne lui dit rien.
Alors, par rapport à l’arrêt des activités culturelles, si la Ministre Sona Konaté ne dit rien, ça veut dire ce que ça veut dire. Peut-être qu'elle a atteint ses limites. On ne sait pas ! Ou elle n’a pas assez de poids pour se faire entendre. Je pense qu’il faut des gens qui ont un peu de niaque pour occuper ces types de postes. Parce que c'est la culture qui fait vivre ce pays. Nous, on vit de ça. Nous, on vit de ces spectacles. Bon, peut-être que la culture n’apporte pas gros à l’État. Mais, si c’est leur estimation, ça veut dire que, ceux qui sont à la tête ne sont pas capables de nous définir les vraies politiques de relance culturelle pour sortir de l’ornière. Et pour ça, je n’accuse personne, c’est Madame la Ministre. Je suis choqué de voir que rien n’est fait jusqu’à présent ».
Moïse Premier : « Sona Konaté n’est pas quelqu’un qui connaît réellement le secteur de la culture. Si elle était quelqu’un qui a la parfaite maîtrise de la culture, je pense qu’elle aura des mots, des arguments à avancer lors des Conseils des Ministres. Elle aurait tapé le poing sur la table pour défendre ce secteur. Mais non, malheureusement, ce n’est pas son domaine. Ce qui fait qu’elle n’a pas suffisamment d’arguments pour défendre les intérêts de ce secteur.
Oui, vous allez me dire qu’il y a des spécialistes de la culture autour d’elle. Mais, est-ce que ces spécialistes sont écoutés ? Est-ce que ces spécialistes participent aux Conseils des Ministres ? Ce sont des gens qui ont dirigé cette culture pendant un moment, et qu’on a vu des résultats concrets. Je veux citer par exemple : Son Excellence Fodéba Isto Keira qui est aujourd’hui le Secrétaire Général dudit département. Mais, est-ce qu’il a aujourd’hui le même poids qu’au moment où il était Ministre de la Culture ? Voilà une bonne question ! »
Moïse Premier : « On a vu des Ministres ici, comme Amirou Conté, Isto Keira, des gens qui mangent CULTURE, qui boivent CULTURE et qui ont vraiment un passé glorieux dans le domaine de la CULTURE. Pendant qu’ils étaient Ministres, on a vu comment la Guinée était présente parmi les grandes nations en matière de représentation culturelle.
Je me rappelle encore, c’était en 2010, à l’occasion du FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres). À l’époque, Isto Keira était Ministre. À ce que je sache, il n’y a jamais eu autant de mobilisation artistique ou de délégation guinéenne dans un festival au cours des 10 dernières années en matière de représentation culturelle comme cette année au FESMAN. C’est le plus grand rassemblement de communautés noires sur terre. A ce festival, il y avait plus de 300 guinéens : des artistes, des journalistes, des cadres, il y en avait en tonnes. Voilà des types d'hommes, pas forcément Isto Keira, que nous souhaitons avoir à la tête du département de la culture ».
Moïse Premier : « Bah écoutes SITA ! Si on veut, on créera 1000 fédérations et associations, s’il n’y a aucune sincérité là-dedans, je suis désolé, ça ne va pas fonctionner. Ce n’est pas l’hypocrisie qui va faire fonctionner le domaine de la culture. D’accord ? Ce n’est pas le clanisme qui fera fonctionner ce secteur. D’accord ? La dernière fédération créée, il y’a un problème de leadership qui y règne. Je veux parler de la FECEG [fédérations des entreprises culturelles et économiques de Guinée NDLR]. Ça se clash dans le groupe, aucune politique en place, aucune stratégie pour aller vers les autorités. Des conférences de presse ? Mon œil !!! La conférence de presse, ce n’est pas une bonne politique, ça ne veut rien dire ».
Moïse Premier : « Ce secteur manque d’un vrai leader. Ces associations d'artistes et fédérations des opérateurs culturels ont besoin d’un vrai leader, d’un vrai homme qui peut tenir tête au gouvernement. Ces structures ont besoin d’un vrai leader qui peut représenter et tenir un vrai discours face aux autorités. C’est-à-dire, UN INTELLECTUEL CULTUREL. Quelqu’un qui a le niveau, mais pas un poltron. Tu vois ?
Mais comment voulez-vous que le gouvernement, les Ministres prennent au sérieux ces structures culturelles ? Parce que les membres ne parlent pas d’une même voix. Pendant que vous défendez une cause, il y a des captures d’écran du groupe qui se retrouvent dans les téléphones des Ministres. Comment ? Comment ? Tu mets un truc dans le groupe WhatsApp de la FECEG, 2 minutes après, il y a un ministre qui t’appelle pour te dire « Petit imounssé falafé naki ? » [en Français : « Petit qu’est-ce que tu dis comme ça ? NDLR]. Alors, je suis choqué. Il n’y a aucune sincérité dans ces fédérations et associations.
On dit qu’on a perdu beaucoup d’argent dans le secteur à cause de la crise sanitaire. Vous voulez vous adresser à des personnes pour défendre la cause commune, mais au même moment, vous avez des membres de cette même structure de la FECEG qui se lèvent pour aller taper la porte des bureaux des Ministres, ou qui se rencontrent dans les hôtels et restaurants pour leur soutirer de l’argent.
Avec cette histoire de « Grand et Petit », mais comment tu veux que ce Ministre-là te prenne au sérieux ? Est-ce que ce sont ces personnes réunies dans une fédération ou association qui pourront organiser une marche ou un sit-in ? Est-ce que ce sont ces gens-là qui vont demander audience au Chef de l’État ? Non ! Au même moment, leurs artistes sont en train de jouer dans les concerts ou meetings organisés par le gouvernement à cause des miettes qu’on leur donne. Donc, c’est l’intérêt personnel qui a pris le dessus sur l’intérêt collectif. Et ça fait que ce milieu culturel est finalement pourri. C’est ça la réalité.
Il faut qu’on se dise les choses en face. Je sais que, quand ils vont lire cette interview, ils ne m’appelleront pas pour présenter leurs prochains spectacles ou concerts. Mais je n’ai rien à foutre, d’accord ? Ça fait des mois, il n’y a pas de concerts grand public, ce ne sont pas non plus ces animations scéniques-là que moi je me nourris. D'ailleurs, 99, 99% des concerts que moi j’ai présenté sur l’Esplanade du Palais du Peuple, je n’ai pas été payé pour ça. C’est des gars qui ne payent pas – c’est des amateurs – c’est pourquoi il n’y a pas de leaders dans ce milieu – c’est pourquoi les spectacles ne peuvent pas reprendre – c’est pourquoi l’État ne peux pas les prendre au sérieux – c’est pourquoi même les mécènes aussi ne les prennent pas au sérieux. Donc, ça va durer comme ça, et rien ne sera fait. Si vous voulez, organisez 1000 conférences, ça ne va pas fonctionner. On a besoin de vrais gars qui vont venir avec une vraie stratégie pour le développement culturel. On a besoin des vrais hommes qui seront capables de mettre cette stratégie devant le Gouvernement, devant la Ministre en charge du département pour pouvoir en discuter. Il faut des débats sérieux, des échanges ».
NB :Restez scotchés pour la deuxième partie de cette interview.