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Depuis des siècles, l’Art et la Musique rythment la vie de l’Homme. Entre les deux, il est difficile de dire l’élément premier. Toutefois, les deux valeurs culturelles cohabitent de façon pacifique et s’accompagnent parfaitement au service de l’Homme. Au pays kissi, cette règle ne fait pas exception des aïeux aux générations actuelles. Joseph Fodé Teliano, administrateur culturel explique ici, quelques préoccupations relatives à l’art et la musique au pays kissi. Lisez in extenso cet entretien.
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(Photo facebook) Joseph Fodé Telliano, Administrateur Culturel Chef de Division Culture et Communication à la Commission Nationale Guinéenne pour l'UNESCO Point Focal ProPMIG O.C.P.H Conakry[/caption]
Quelle est la place de la musique dans la culture kissi ?
Joseph Fodé Teliano : Comme un peu partout dans le monde, la musique occupe une place déterminante dans la culture kissi. Elle sert à célébrer la vie quotidienne au pays. Elle peut servir aussi à divertir, consoler, motiver, dénoncer les tares, magnifier la bravoure ou la puissance des hommes, et à conscientiser les sociétés pour le développement socioéconomique. Toutes les activités humaines mêmes celles dites secrètes comme dans la forêt sacrée sont assorties de musique.
Quelles sont les cérémonies qui nécessitent l’usage des instruments de musique ?
Joseph Fodé Teliano : En pays Kissi, les cérémonies qui nécessitent l’usage des instruments de musique sont :
Les cérémonies de réjouissance : naissance, baptême, entrée et sortie de la forêt sacrée, mariage, etc.
Les cérémonies agricoles : les instruments de musique sont utilisés pendant le labour des champs, le défrichement des bas-fonds, le repiquage du riz dans les bas-fonds, le désherbage des champs, la récolte et le battage du riz. Les paysans travaillent en fonction du rythme des instruments. Ça accélère le travail et donne une motivation supplémentaire, bien sûr c’est lors des travaux d’intérêt collectif, l’entraide chez le chef de village par exemple, etc.
Les cérémonies funèbres : enterrements de corps, sacrifices de 30
ème ou de 40
ème jours après le décès d’une personne majeure, célébration des messes de requiem, fin de veuvage, etc.
Les cérémonies religieuses : adorations des divinités de la nature (marres, marigots, montagnes, forêts, grottes), incantations rituelles et spéciales des charlatans ou guérisseurs, célébrations des messes ordinaires dans les églises, etc.
Les cérémonies officielles : réception d’hôtes ou visite des étrangers dans une localité.
Les compétitions artistiques, culturelles et sportives : festivals et quinzaines artistiques regroupant plusieurs artistes, les rencontres culturelles, les matchs de football au niveau local, etc.
Les cérémonies rituelles : par exemple quand les guérisseurs traditionnels ou tradi-praticiens veulent faire les offrandes aux génies, les adorations des divinités de la nature (marres, marigots, montagnes, forêts, grottes), les incantations aux génie ou esprits de la nature, les célébrations des messes ordinaires dans les églises, etc.
Quelles sont les principaux instruments de musique joués au pays kissi ?
Joseph Fodé Teliano : En pays Kissi, on distingue trois grandes catégories d’instruments qui sont :
Les instruments à percussion qui sont repartis en deux types (ce que les pieds et les bras supportent) : notamment
le tam-tam effilé appelé "
Yimbö" soit "
Doundou pömbö" ou "
Doundoulen ;
le gros tam-tam appelé "
Doundou bèndo". C’est un cercle creusé que l’on ferme. Il sert à produire les sons lourds.
A cela s’ajoutent
Le petit tam-tam que l’on porte sous l’aisselle par un seul musicien appelé "
Tambaa" au singulier et "
Tambalaan" au pluriel. Les sonorités de cet instrument varient selon les mouvements du bras sur les cordes qui relient les deux extrémités.
Les petits tambours : équivalents de la caisse claire des batteries modernes, joués lors des cérémonies champêtres appelés "
Gbindö" ou "
Gbèndö".
Les castagnettes : sortes de calebasses dans un sac de cauris purement rythmiques que les femmes jouent appelés "
Sèèlan". Pour les hommes on appelle "
Tyèkèlan".
Les philophones : sortes de balafons variant entre sept et neuf planchettes chacune ayant un son conforme à une note de musique appelé "
Kérendon" ou "
Kélendon"
ou encore "
Kendon".
Les
philophones concentrés : Bois creux comportant quatre à six trous appelé "
Kéréndé" ou "
Kélendé" ou "
Kéndé" ou encore "
Kélenhi bèndeï" ou "
Kélenhi tomaï".
Dans la deuxième grande catégorie, on peut citer
les instruments à cordes à savoir :
la lyre traditionnelle qui est un arc en bois. Les deux bouts de l’arc sont reliés par la corde. Ça produit différents sons qui varient selon la position de l’arc à la bouche. La corde est tapée par un bâton. Cet instrument est appelé "
Sinapanden" ou "
Tinamanden" ou encore "
Tindimanden".
Un autre instrument à corde appelé le "
Bondoma" ou "
Tovaa", est un instrument qui est en forme de fourche. Les deux côtés latéraux sont reliés par des cordes variant entre cinq et sept. Chacune correspond à une note. La calebasse au-bas de la fourche est collée au ventre du musicien. L’ouverture et la fermeture de cette caisse constitue les sons lourds et aigus de la musique en rapport avec l’extension de la fourche.
Il y a aussi le "
Kongoma" qui est une caisse de résonnance à laquelle on joint cinq à six lames de fer. Chaque lame produit un son spécial. Plus la lame est longue plus le son est lourd.
Un autre instrument à corde appelé "
Banga", il est à la forme horizontale de l’arc courbé.
Enfin, il faut citer l’instrument appelé le "
Kèndé" au singulier ou "
Kèndon" au pluriel. C’est un métal qu’on recourbe et le joueur porte une bague et un bâton métallique. Il produit un son métallique.
La troisième grande catégorie d’instruments au pays kissi est bien
les instruments à vent : On peut citer entre autres : la
corne à biche et du bœuf, la
flûte traditionnelle en bois. Porté à la bouche du musicien, ça produit plusieurs catégories de sons correspondant à une note.
Quelles sont les techniques de fabrication des instruments de musique au pays Kissi ?
Joseph Fodé Teliano : Les matériels qui rentrent dans la fabrication des différents instruments de musique sont : le bois pour la percussion légère et la peau du singe ou de la biche verte ou chevreuil qui a la peau très dure.
Pour la fabrication des
philophones c’est-à-dire le balafon kissi, c’est avec les planchettes en bois (bois spécial qu’on ne trouve qu’en forêt).
Pour le "
Kérénde" ou "
Kélendé", c’est un tronc d’arbre de 30 cm de diamètre que l’on vide, assorti des trous qui produisent les différents sons.
Pour les
castagnettes, on utilise les calebasses, les cauris, les colliers, les fibres de raphia, les cotonnades, les cailloux ou les grains secs d’une espèce de fougère plantée non loin des villages appelé en kissi "
Poondon" etc.
La plupart des autres instruments ont pour origine le travail des forgerons : les baguettes, les bagues métalliques, les lames, etc.
Pour la fabrication des instruments, il y a des gens spécialisés. Exemples : les forgerons pour la plupart des instruments et les femmes pour les castagnettes féminines.
En pays Kissi qui sont les artistes ?
Joseph Fodé Teliano : En pays Kissi il y a deux catégories d’artistes, les
amateurs et les
professionnels.
Les amateurs sont ceux qui s’intéressent par passion à la musique. Ils ne sont pas des héritiers du métier. C’est par exemple les Kamano, les Millimouno, les Tonguino, les Tolno, etc.
Les professionnels sont appelés : la
caste des musiciens. Il y a des instruments, pour les toucher ou les jouer, il faut être de la lignée. Exemple : Le "
Kérendé" ou "
Kélendé" ou encore "
Kéndé", il faut avoir fait la forêt sacrée ou être initié. Le "
Kérendé" ou "
Kélenhi tomaï" est sacré. L’autre instrument appelé "
Kérendon" ou "
Kélendon" ou encore "
Kendon", chacun peut le jouer. Les filles peuvent hériter de leurs mamans chanteuses et joueuses des castagnettes ou "
Sèèlan".
Quels sont les principaux rythmes de danse en pays Kissi ?
Joseph Fodé Teliano : En pays Kissi on a fondamentalement trois principaux rythmes de danse. Le premier c’est un rythme à deux pas appelé "
Baallo". Le deuxième rythme à trois temps est appelé "
Gbonyoo" ou "
Gbenyoo" ou encore "
Koungouma". Le dernier rythme à quatre temps est appelé "
Tyébendo" ou "
Kébendo" ou encore "
Söböndo".
Certains de ces trois rythmes peuvent naître de façon spontanée partant de rien comme pendant l’annonce d’une naissance, d’une circoncision ou lors des travaux champêtres.
Quelles sont les influences étrangères sur l’art musical en pays Kissi ?
Joseph Fodé Teliano : L’influence étrangère sur l’art musical en pays Kissi est indéniable. C’est palpable avec le progrès de la science, de la technique et de la technologie qui ont contribué grandement à la naissance de l’audio-visuel : radio, cassette, CD, clef USB, vidéo, télévision, téléphone portable, écouteurs, tourisme culturel ou de masse, etc.
Malgré tout, nous osons dire que la musique traditionnelle kissi se porte bien. Cela est constaté lors des cérémonies de baptême, de mariage, de décès, etc. Pendant le déroulement de ces différentes cérémonies, on assiste à une cohabitation pacifique entre la musique traditionnelle et celle moderne. Au même endroit on peut remarquer au salon un espace spécialement aménagé où les jeunes dansent au rythme de la chaîne musicale et les autres au rythme de la musique traditionnelle du terroir.
Très généralement, les grands parents, les personnes âgées et celles venues de la capitale Conakry, des autres villes où la communauté est moins représentée et de l’extérieur de la Guinée, du Libéria ou de la Sierra Leone sont beaucoup plus intéressées à la musique traditionnelle kissi.
Que peut-on dire de la jeunesse kissi et le folklore du terroir ?
Joseph Fodé Teliano : En pays Kissi il y a deux types de folklore, le vrai folklore et celui teinté.
Le vrai folklore est original, spontané et naît de rien dans le village. Généralement on le pratique à l’annonce d’une bonne nouvelle (accouchement, retour triomphal au village d’un fils revenu de l’extérieur, annonce d’une admission à un examen ou d’une promotion, fin de l’excision ou de la circoncision, etc.).
Le folklore teinté est fait d’emprunts faisant l’objet de séance de répétition et de répartition des jeux de rôle. Exemple : musique funèbre pour les initiés de la forêt sacrée, religieuse à l’église et les festivités de Noël, etc.
Que voulez-vous ajouter pour conclure ?
Joseph Fodé Teliano : En outre, on peut dire qu’aujourd’hui que la jeunesse a tendance à négliger ce folklore en pays Kissi au profit des chaînes musicales. Néanmoins ce folklore reste très vivant pour magnifier toutes les différentes cérémonies de réjouissance, agricoles, funèbres, religieuses, officielles, artistiques, culturelles, sportives et rituelles avec la musique traditionnelle.
Texte envoyé à SITANEWS par Mafoudia Bangoura (Hadafo Médias)