Ouverte le 19 mars, l’imposante exposition « PARIS NOIR, circulations artistiques, luttes anticoloniales » se poursuivra jusqu’au 30 juin 2025 au Centre Georges Pompidou à Paris.
Reportage de Rita STIRN
Pour Sitanews/Temps de lecture : 7 minutes
Le Centre Georges Pompidou propose une exposition attendue et nécessaire sur « une histoire de l’art qui se déploie en lien avec le politique de 1950 à 2000, autour des indépendances africaines et antillaises, du Black Power Movement, des premières manifestations anti-racistes en France, de la mobilisation contre l’apartheid en Afrique du Sud, jusqu’au bicentenaire de la révolution française, un moment très ambigu de célébration autour d’un récit incomplet » selon les explications de la Commissaire de l’exposition, Alicia Knock, dans une interview publiée dans Beaux-Arts Éditions.
La revue Présence africaine avait été créée en 1947 par Alioune Diop qui écrit dans son introduction : « Cette revue ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie philosophique ou politique. Elle veut s’ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté (blancs, jaunes ou noirs), susceptibles de nous aider à définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne ».
Cette revue existe toujours et elle est à l’origine d’une prise de conscience en France de l’identité africaine. En 1989, une exposition du Centre Pompidou, intitulée Magiciens de la Terre, marque l’histoire de la création africaine et fait découvrir des artistes vivant sur le continent africain, un premier pas de côté par rapport à l’ethnocentrisme européen. L’approche de l’exposition actuelle met l’accent sur des artistes africains qui vivaient en France avant et après les indépendances. Ils y ont noué des amitiés créatives, aussi bien avec des peintres, des sculpteurs, des musiciens que des écrivains, et ont exprimé une jonction entre la culture et le politique.
Le parcours proposé au Centre Pompidou fait découvrir des œuvres emblématiques de la présence africaine à Paris, en même temps que des archives sonores. Il est chrono-thématique par rapport aux grands mouvements artistiques internationaux comme l’abstraction et le surréalisme, mais aussi à une esthétique panafricaine avec le Festival Panafricain d’Alger en 1969, le World Black and African Festival of Arts and Culture( Festac ) à Lagos en 1977, la Biennale de Dakar en 1990, les Rencontres de Bamako de la photographie en 1994, l’exposition sur le Pont des Arts de l’artiste sénégalais, Ousmane Sow avec des hommes debout : les Noubas, les Masaïs, les Peuls, les Zoulous, et plus de 3 millions de visiteurs recensés. S’ajoute une réflexion sur la décolonisation avec notamment le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire et des citations d’Edouard Glissant.
Des déclarations de James Baldwin sont à écouter dans une vidéo, elles dénoncent le racisme et la discrimination aux Etats-Unis. Les artistes, issus des diasporas africaines, qui passent par Paris, affirment leur expression artistique en réaction à l’histoire de l’art occidentale et créent un art engagé avec des outils devenus universels.
Les amitiés créatives ont une place de choix dans l’exposition. La rencontre en Martinique d’Aimé Césaire par le peintre cubain Wilfredo Lam, arrivé par bateau avec André Breton, fut le début d’une amitié indéfectible et une inspiration pour les tableaux les plus connus de Lam, la Jungla peint en martinique ouUmbral peint à Cuba en 1950, qui présente trois figures-totems en hommage aux ancêtres africains.
Edouard Glissant, le penseur de la créolisation, écrit sur ses amis plasticiens, le sculpteur cubain Agustín Cárdenas, le peintre argentin Antonio Segui, le peintre Chilien Roberto Matta, qui à leur tour, s’expriment sur une histoire commune. En 1979, Glissant publiera Histoire naturelle d’une aridité, accompagné d’eaux-fortes de Cárdenas.
La rencontre entre l’écrivain américain James Baldwin, venu à Paris en 1948, et le peintre Beauford Delaney fut source d’inspiration et d’admiration mutuelle. Arrivé à l’âge de 24 ans à Paris, Baldwin dit à propos de son aîné Beauford Delaney : « Beaufort est devenu pour moi un exemple de courage, d’intégrité, d’humilité et de passion (…) Je l’ai vu secoué de nombreuses fois, j’ai assez vécu pour le voir brisé, mais je ne l’ai jamais vu plier ».
Un certain nombre de toiles des années 1960 sont à voir dans l’exposition, notamment des portraits de Baldwin et d’autres célébrités du Jazz comme Charlie Parker et Ella Fitzgerald ou l’héroine de la lutte contre la discrimination, Rosa Parks peinte en 1967. Un de ses tableaux Untitled (Jazz band ), inspiré par son amour du Jazz qui a incité Beaufort à venir à Paris pour y fréquenter les Jazzmen qui venaient chercher à Paris la liberté d’être musiciens.
Archie Shepp qui fut l’un d’entre eux et un sympathisant des Black Panthers dira : « Jazz is a Black power ». Bon nombre de ces géants du Jazz ne sont jamais repartis vivre aux Etats-Unis. Un hommage leur est rendu en photographie, peinture, cinéma, et autres techniques : Duke Ellington et Billy Strayhorn par Romare Bearden dans un format de collage sur papier ou du même artiste Jazz with Armstrong, et entre autres Bud Powell dans trois chambres à Manhattan par Walter Limot.
Se réapproprier sa propre histoire est une thématique récurrente dans les œuvres exposées. Comme l’a fait l’exposition au Kunstmuseum de Bâle en 2024, « When we see us » où la commissaire camerounaise Koyo Kouoh a mis en avant la liberté de se montrer, de se raconter, de s’affirmer. Être soi-même dans son pays est une revendication, comme le dit la tapisserie de 1960 Le repiquage du riz à Madagascar réalisée par Victoire Ravenonanosy ou la Tête de femme portant un plateau en 1968 par le peintre et musicien sud-africain, Gérard Sekoto et son regard sur le quotidien des femmes sénégalaises. Revendiquer une place dans l’histoire de l’art est l’objectif de Diagne Chanel avec Le Garcon de Venise en 1976 : « Ce tableau était une affirmation forte pour occuper cet espace idéal de l’histoire de l’art où ce type de corps n’avait sa place ».
Être noir et homosexuel dans l’Amérique des années 1960 n’était pas simple à vivre comme le disaient James Baldwin et Richard Wright. Emil J. Cadoo suivit leur exemple et émigra à Paris où il vécut jusqu’à sa mort en 2002. Il s’exprima par la photographie comme dans son autoportrait à double exposition réalisé vers 1960. Il reste connu pour ses photographies publiées dans Life ou Vogue. Une de ses œuvres exposées est une peinture fluorescente, ficelle sur papier noir, sur carton intitulée Luminous painting de 1950. Edith Piaf lui dit en voyant ses portraits d’elle : « Monsieur Cadoo, vous n’êtes pas un photographe, vous êtes un poète avec un appareil photo ».
Les femmes afro-américaines et caribéennes sont également représentées dans la réécriture de leur histoire, comme Joséphine Baker qui a fréquenté l’intelligentsia parisienne, est devenue célèbre comme artiste chanteuse et par sa double-identité, son rôle de Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale et de militante des droits civiques aux Etats-Unis. Elle est honorée par la France et repose au Panthéon.
Briser la barrière de la couleur est le militantisme de Ming Smith dans son Autoportrait en Joséphine en 1986. Mannequin avant d’être photographe, elle réunit art et Jazz en épousant le saxophoniste et clarinettiste David Murray. Les tournées de son mari lui permettent de connaitre les scènes internationales et d’immortaliser de nombreux artistes comme Nina Simone, le chorégraphe Alvin Ailey, Tina Turner, Sun Ra. Elle est aux côtés de Martin Luther King au moment de la Marche sur Washington le 28 août 1963. Premier membre féminin d’un collectif d’artistes de Harlem Renaissance, elle est connue pour ses compositions complexes, ses surimpressions et ses collages. L’artiste nigérian Ben Enwonwu (1917-1994) reste célèbre pour son portrait de 1974 intitulé Tutu, la Mona Lisa africaine.
L’art engagé des artistes africains révèle « les paradoxes de Paris qui accueille dans les années 1960 les musiciens et intellectuels afro-américains opposés à la ségrégation raciale, mais elle parque dans les bidonvilles de Nanterre une population d’Algériens » écrit Nicolas Michel. En 1990 Paris est la première capitale à recevoir Nelson Mandela.
Avec l’exposition Paris Noir, la commissaire Alicia Knock souligne qu’il existe l’idée d’une internationale noire, un courant de pensée qui traverse l’ensemble des communautés et la société française dans toutes ses composantes. La plasticienne Élodie Barthélémy déclare que son engagement est de vouloir « mettre en circulation récits historiques, situations politiques et le questionnement philosophique sur soi et le vivant. Après l’Hommage aux ancêtres marrons de 1994, elle a réalisé en 2006 une performance de trois jours baptisée Coiffure collective en connectant une vingtaine de personne par leurs tresses. Connecting people prend tout son sens
Grâce aux acquisitions du Centre Pompidou un certain nombre d’œuvres de l’exposition, Paris Noir, feront désormais partie de la collection permanente et inscriront durablement, dans le parcours des visites, l’histoire artistique africaine, caraïbe et afro-américaine de Paris.
Site : https://www.centrepompidou.fr
Publications concernant l’exposition
Catalogue Paris Noir sous la direction d’Alicia Knock, Commissaire.
PARIS NOIR Circulations artistiques, luttes anticoloniales 1950-2000, Éditions Beaux-Arts.
Paris, capitale noire et interculturelle, Article paru dans le magazine l’Histoire, Mai 2025 consacré à Haïti, la Révolution des esclaves, la première république noire, le scandale de la dette.
Copyright © Sitanews. Tous droits réservés Sitanews