Nous n'avons pas les droits sur cette photo de Dani Kouyaté
04 March, 2025

Étalon d'or : Dani Kouyaté nous accorde une interview après son sacre

 

Après 28 ans, le réalisateur burkinabé Dani Kouyaté a donné le 3e Étalon d'or de Yennenga au Burkina Faso avec son film « KATANGA, LA DANSE DES SCORPIONS » le samedi 1er mars au Palais des sports de Ouaga 2000, à l'occasion de la clôture de la 29e édition du FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Après son sacre, Dani Kouyaté nous a accordé une interview exclusive réalisée par Mory Touré.

 

MT : Monsieur Dani Kouyaté, d'abord toutes mes félicitations, cela faisait 28 ans que le Burkina n'avait pas obtenu cet étalon d'or de Yennenga. Quelles sont vos impressions sur cette récompense ?

 

DK : « C'est une grande fierté pour moi d'avoir fait en sorte que cet étalon reste au Burkina. C'est une très grande fierté pour moi. »

 

Vous vous situez entre deux générations, suivant les pas d'un certain Souleymane Cissé à qui vous aviez rendu hommage. Ce n'était pas évident au départ, et comment réagissez-vous face à cette victoire ?

 

« Je dirais que c'est la victoire d'une génération, la victoire de la génération à cheval entre l'ancien système et le nouveau système. Moi, j'ai fait mes premiers films en pellicule 16 mm, 35 mm, etc. Et puis le troisième, j'ai commencé à travailler dans le numérique, donc j'étais vraiment à cheval sur les deux formats, sachant que la façon de travailler a complètement changé entre les deux. Mais aujourd'hui, être là et maintenir le cap, car nous faisons quand même des films avec l'ambition, même si ça ne marche pas toujours, d'aller dans des festivals comme Berlin, Venise ou Cannes, pour montrer notre pays à l'extérieur. Donc ce sont nos ambitions, et chaque fois que le pari réussit, c'est une victoire. Mais ce qui est aussi beau, c'est que j'ai travaillé aujourd'hui avec la jeune génération, car ici au Burkina, l'équipe était à 100% burkinabè, avec des jeunes sortis de l'école de cinéma locale, l'ingénieur du son, le chef moteur, etc. »

 

Vous avez parlé des techniques, votre film est en noir et blanc. Pourquoi avoir choisi ce format qui est un peu à l'ancienne ?

 

« Mais vous savez, le noir et blanc ce n'est pas l'ancien système. Il y a aujourd'hui des films qui se tournent à Hollywood et où on décide de revenir au noir et blanc. Parce que le noir et blanc a sa propre subtilité et sa finesse. Quand on travaille le noir et blanc, on travaille sur des gammes de gris, et il y a une puissance dans le noir et blanc. La preuve, c'est que beaucoup de gens ont été fascinés par ce choix du noir et blanc. Cela campe vraiment le film dans une atmosphère, surtout que la couleur nous maintient dans le réalisme. Le noir et blanc, tout d'un coup, ça se décale et ça s'impose pour une lecture différente. Et cela fait que, par exemple, quand on travaille avec l'idée de faire du noir et blanc, on n'utilise pas n'importe quelle couleur pour les costumes ou les décors, car chaque couleur n'aura pas la même gamme de gris. Tout cela est assez scientifiquement étudié par les costumiers, les décorateurs et la lumière, c'est un véritable travail. »

 

 

Tout à l'heure, vous avez parlé des jeunes dans l'équipe de production du film. Est-ce que, avec cette expérience-là, on peut dire aujourd'hui que dans plusieurs compartiments, on peut compter sur la ressource humaine dans le cinéma africain ?

 

« Oui, c'est déjà le cas depuis longtemps. Quand je regarde autour de moi, je vois beaucoup de jeunes avec des caméras, et même de jeunes femmes. J'étais fasciné de voir de plus en plus de jeunes femmes tenir la caméra, tenir la perche, et c'est très intéressant à observer. Cela montre que les jeunes n'ont pas de complexes aujourd'hui, et ils ne devraient pas en avoir car ils travaillent avec les mêmes outils que tout le monde : les mêmes caméras, les mêmes ordinateurs, les mêmes logiciels, etc. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est le talent et la capacité à raconter des histoires qui leur ressemblent. »

 

Les démarches sont différentes, avec d'un côté des films commerciaux et de l'autre, des films d'auteurs. Quelle posture les Africains doivent-ils avoir face à cette diversité et cette richesse pour un cinéma plus grand ?

 

« C’est une question d'auteur, car je pense qu'on ne peut pas généraliser la problématique. Il faut la prendre en termes d'auteur, car nous avons des auteurs, des grands auteurs, avec chacun leur style, leurs envies, leurs narrations, leurs choix d'histoires à raconter. Certains veulent faire du cinéma populaire, d'autres des drames sociaux ou politiques, et moi je veux jouer sur la métaphore, la fable politique, etc. Chaque auteur, chaque artiste, chaque réalisateur doit trouver sa propre voix. C'est comme dans une symphonie, où chaque instrument joue sa note propre et pure, pour former un ensemble harmonieux. C'est la même chose avec le cinéma : les auteurs doivent jouer leur partition pour que l'ensemble donne un tout cohérent. Car il faut de la diversité pour faire un monde. »

 

Le public vous attendait depuis longtemps. On dira que pour KATANGA, ce fut un nouveau coup de maître. Quand pourrons-nous voir une nouvelle production de Dani Kouyaté ?

 

« Je pense que d'ici cinq ans, je reviendrai, Inshallah, avec un autre film. Mais je dis ça parce que j'ai fait six longs métrages et j'ai chaque fois pris cinq ans entre chacun de mes films. Moi, je mets cinq ans pour faire un film parce que je prends le temps pour l'écriture. D'abord, je dois avoir une histoire, l'envie de raconter quelque chose, de trouver cette chose-là, de l'écrire, ça prend beaucoup de temps car je ne suis pas scénariste de formation, donc je mets beaucoup de temps pour écrire parce que je prends beaucoup de feedback. Et puis une fois que c'est écrit, il faut créer le dossier, il faut chercher des financements, etc. Et ça prend cinq ans, ça va vite. Donc peut-être dans cinq ans, je serai là avec un autre film car je suis en train de réfléchir à ce que je vais raconter. »

 

A qui dédiez-vous cet étalon d'or de Yennenga ?

 

« Cet étalon d'or, je le dédie au peuple burkinabé pour sa persévérance et sa témérité face à la barbarie du terrorisme. Je le dédie aussi à tous ceux qui sont tombés pour défendre notre pays, car ils sont très nombreux et ils méritent notre reconnaissance. » 

 

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