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Publié : 02 June, 2024

Portrait inédit de Yemoh ODOI, éminent artiste ghanéen installé au Maroc

 

Yemoh ODOI, alias Yemoh777s, est un artiste interdisciplinaire installé au Maroc depuis 2005. Il est le fondateur et directeur artistique de l’association The Minority Globe. En 2009, il crée le groupe musical Yemoh & The Minority Globe dont il est le compositeur et l’interprète. Yemoh s’explique sur le choix de ce nom. Il utilise le concept de « minorités globales » pour porter une réflexion sur ce que l’on considère comme majoritaire et à l’inverse il examine ce que l’on minimise et divise, rappelant ainsi que les minorités sont en fait majoritaires dans le monde. 

 

 

Dès son premier album paru en 2012, Messages from a Stranger, il aborde la thématique de la migration par le prisme de son expérience personnelle. Musicalement, Yemoh est un artiste sans frontières, influencé par les rythmes africains, l’afrobeat, le reggae, la musique gnaoua et le slam. En octobre 2019 paraît Welcome to Africa, un album célébrant le retour en Afrique, en hommage à celles et ceux qui ont été victimes de l’esclavage et forcés de quitter leur terre d’Afrique. La même année, il produit l’album Daa Kasi Nii, qui signifie en langue Ga « apprends tout au long de ta vie », une musique festive et dansante sur des rythmes d’afrobeat et de high life ghanéen. En 2020 sort un single intitulé Migrant Lampedusa pour évoquer la mondialisation du drame migratoire et mettre la lumière sur « les oubliés des mers et des déserts ».

 

VOIR cette vidéo >>  https://youtu.be/LTvRAhmcfXI

 

L’engagement de Yemoh comme artiste est explicite : « Je ne joue pas pour jouer, je joue ce que j’observe ». Ainsi Yemoh a quitté son pays natal, le Ghana et a fait l’expérience des routes migratoires et la traversée du Sahara. Après un séjour au Sénégal, il s’installe au Maroc.

 

L’association The Minority Globe réalise des projets artistiques tels que Look At Me (LAM), un projet qui « s’inscrit dans l’histoire d’une photographie africaine ancrée dans la réalité sociale, celle d’une Afrique qui se représente par elle-même, participant par l’image à une construction historique radicalement opposée aux canons occidentaux. La nécessité de faire émerger de nouvelles images sur/par les communautés migrantes est d’autant plus cruciale que ces groupes sont à la fois surmédiatisés et sous-représentés. »

 

Les arts visuels, des performances scéniques, des compositions qui alertent les esprits, Yemoh pratique une approche artistique innovante visant à réfléchir sur notre perception des communautés migrantes. « Je ne me contente pas des causes économiques pour justifier le point de départ d’un voyage migratoire. Pourquoi une personne décide-t-elle de quitter son pays, sa famille pour changer de vie ? Les causes sont multiples : le changement climatique, la colonisation, l’extravisme, etc. ». Re-Imagi(nations) est une recherche artistique basée sur un travail de terrain dans trois régions du Maroc, le Nord, l’Oriental et le Souss. L’artiste a travaillé en collaboration avec des communautés migrantes installées dans ces régions afin de créer des œuvres participatives qui ré-imaginent leur présence sur le territoire en exprimant symboliquement par l’art leur expérience personnelle. Une première exposition de ce projet s’est tenue à Mahal Art Space à Tanger en 2023, puis à Kulte Center for Contemporary Art and Editions à Rabat en 2024.

 

Vidéo importante à visionner ici >> https://youtu.be/0eyGYzlSNqY

 

Yemoh parle de migration en utilisant la métaphore de l’arbre : « L’arbre existe autant dans la lumière qui donnent les feuilles et les fruits que dans l’obscurité où poussent ses racines. Les raisons de partir sont toujours souterraines. »

 

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Hormis le visible et l’invisible, Yemoh se penche également sur l’importance de l’eau, de la mer et des océans dans le développement de l’humain. « L’eau est le symbole de la maternité et des origines de l’humanité ». Sa vision du monde est cosmique comme celle des grands navigateurs.

 

Re-imagi(nations) aurait pu voir le jour en 2016 si un refus de visa ne l’avait pas empêché de se rendre à Athènes pour le réaliser. Pour Organic Knowledge, son projet le plus récent, Yemoh revient sur la métaphore de l’arbre et des racines qui grandissent dans l’obscurité. Selon lui, la croissance souterraine a autant d’importance que celle dans la lumière. C’est une vision qui peut s’appliquer à beaucoup de choses et notamment la migration. Dans ce sens, il fait le lien avec la vie antérieure d’une personne qui décide de quitter son pays. Comment a-t-elle grandi ? Quelle était son enfance, ses jeux, qui était sa famille ? Allait-elle à l’école ? En un mot quel était le passé qui définit son présent ? 

 

Yemoh met également en évidence la normalisation de certaines formes de protestation comme la manifestation, ou la musique par exemple. Il ironise en disant : « C’est ton droit, tu peux manifester, mais on crie et personne ne nous écoute, on ne dérange plus. Il faut revenir à une approche dont nous avons le contrôle ».  Comme c’est le cas de l’art. La création ne se fait pas dans la précipitation, créer un hit peut prendre quelques minutes, mais construire un héritage artistique se fait dans la lenteur, comme les racines se développant lentement dans la terre, de la graine à l’arbre.

 

Nous arrivons à la question de la valeur universelle d’une œuvre d’art. Yemoh travaille à partir de la prise de conscience des ondes et des fréquences qui nous entourent et de l’énergie qui existe.  Nous n’avons pas à la créer, elle est là et propage ses ondes comme les sept couleurs de l’arc-en-ciel ou les sept couleurs des gnaouas. Etudier la musique, c’est étudier ces ondes qui sont universelles au même titre que le battement du cœur. A partir de là, l’énergie créative musicale peut se développer.

 

Comme tout artiste, Yemoh est attaché à l’idée de transmission. C’est pourquoi, il insiste sur l’importance de l’écriture dans les arts, notamment les arts visuels, à la fois pour leur théorie mais également leur transmission. « Léguer le meilleur de nous-mêmes, c’est ce que nous souhaitons transmettre en laissant notre empreinte ».

 

Par Rita STIRN pour Sitanews

 

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