La Tunisie accueillera la 10e édition des Journées Musicales de Carthage (JMC) du 18 au 24 janvier 2025. Mme Dorsaf Hamdani, directrice artistique et présidente du comité d'organisation, nous parle de l'importance de ce rendez-vous incontournable qui valorise l'industrie musicale, et surtout tous ces métiers annexes qui sont source d'inspirations pour l'écosystème musical, ainsi que les grandes lignes de ces 10 ans des JMC.
Entretien réalisé par Mory Touré
Pour Sitanews ©
MT : Madame la Directrice, quelles seront les grandes lignes de cette nouvelle édition des Journées Musicales de Carthage (JMC), en tenant compte du fait que, tout en cherchant à préserver nos valeurs culturelles, l'industrie musicale fait face à de profondes mutations dans son écosystème ?
Dorsaf Hamdani : Nous pensons toujours à donner un coup de pouce aux artistes tunisiens et non tunisiens, mais surtout aux nouveaux projets, à la musique émergente tunisienne notamment.
Les artistes qui n'ont pas l'occasion de se produire en public auront les JMC pour présenter leur nouveau projet et surtout leur nouvelle vision de l'art, des projets artistiques qu'ils présentent. Et donc la ligne éditoriale de cette édition s'inscrit là-dedans, même si nous notons une différence avec les autres festivals de musique traditionnelle, chose que nous avions en Tunisie et que nous avons toujours.
Mais les Journées Musicales de Carthage poussent cette identité de musiciens différents qui veulent s'exprimer avec une musique différente, avec leur propre façon, c'est-à-dire en partant de la musique traditionnelle et en innovant, en faisant des essais dans la musique de pop, de rock, de jazz ou d'autres styles qui deviennent aujourd'hui très populaires dans le monde arabe.
MT : Le JMC Market revient encore cette année. En quoi cette plateforme peut-elle contribuer à stimuler la créativité des acteurs de la musique tout en jouant un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine musical ?
Dorsaf Hamdani : Le JMC Market, c'est une tradition que nous allons garder aux Journées Musicales de Carthage. Nous avions commencé cela à la 8e édition et cela a trouvé un grand succès auprès du public et des festivaliers qui viennent visiter cette exposition. Il s'agit de faire un appel à tous les industriels, mais surtout aux artisans, notamment les luthiers qui fabriquent des instruments de musique traditionnels.
Beaucoup sont dans un âge bien avancé et sont presque les derniers dans leur genre. Comme l'année dernière, nous avons eu l'oncle Hassin, qui était un grand fabricant de zokra, un instrument qui ressemble beaucoup à la zourna de Turquie ou d'Andalousie. Nous avons aussi beaucoup de collectionneurs qui viennent exposer leur collection, des amateurs de vinyles ou de cassettes. Nous accueillerons cette année de nombreux participants d'autres pays, notamment l'Algérie, qui présentera un style de musique amazigh, berbère, avec des instruments et des habits spécifiques à cette région, ainsi que des objets de décoration inspirés de la musique. Donc, évidemment, cette rencontre autour du market est une façon aussi de promouvoir la tradition tout en donnant cette touche de créativité. Nous sommes vraiment, vraiment contents de la grande participation de tous les artistes jeunes et moins jeunes dans le JMC Market.
MT : Comment les JMC peuvent-elles participer à redorer l'image de la Tunisie, notamment après les événements qui, il y a un an, avaient suscité une vive indignation à travers le monde ?
Dorsaf Hamdani : Alors, pour répondre à cette question, je vais vous dire que les JMC, à cause de la guerre et des événements qu'il y a eu contre la Palestine, nous ont amenés et surtout obligés de reporter et carrément d'annuler l'édition passée, parce que les Journées musicales de Carthage sont d'abord un message de paix, un message de résistance.
Tous les artistes qui y participent, connus ou moins connus, ont toujours été des artistes qui s'inscrivent dans des textes militants, ce sont des artistes qui écrivent eux-mêmes leurs textes, très engagés et souvent dans la résistance. Donc nous avons été contraints de reporter l'édition passée, mais je dirais que c'est quand même un message vis-à-vis de ce qui se passe au Moyen-Orient, c'est-à-dire que les artistes doivent quand même être là, et cette année l'édition a mis l'accent sur ce message de paix, ce message de texte engagé. Nous allons avoir avec nous beaucoup d'artistes qui viennent de Palestine.
Pour parler de l'image de la Tunisie, "redorer" n'est peut-être pas le terme le plus approprié, il s'agirait plutôt d'aider la Tunisie avec un coup de pouce, d'aider le paysage culturel et artistique tunisien à aller de l'avant et à avoir beaucoup plus de visibilité ailleurs qu'en Tunisie, ce qui a contribué à son exportabilité, et c'est essentiellement sur cela que sont fondées les JMC.
MT : Quels sont les nouveaux partenariats ou initiatives que vous envisagez de mettre en œuvre pour renforcer l'impact des JMC sur la scène musicale locale et internationale ?
Dorsaf Hamdani : Cette année, comme lors de l'édition précédente, nous avons axé notre travail sur le réseautage. Quand on parle de réseautage, on parle aussi de toutes ces personnes qui remplissent notre carnet d'adresses, ce sont des gens que moi et Imed Alibi, conseiller artistique du festival, avons rencontrés grâce à notre expérience dans la musique.
Nous avons donc sillonné un peu les quatre ou cinq continents pour faire de nombreuses connaissances, pour rencontrer du monde et comprendre et changer cette façon de réfléchir, cette mentalité, et ouvrir les spectres du savoir-faire. Apprendre à tous ces artistes que rester un artiste local ne suffit pas.
Aujourd'hui, nous avons donc envie qu'à travers tous ces partenaires et toutes ces initiatives de réseautage entre festivals ou entre nous, c'est-à-dire festivals avec un autre festival en Europe, en Afrique ou ailleurs, les JMC puissent avoir un impact plus important.
Cette édition a d'ailleurs connu de nombreuses demandes de partenariat, ce qui montre que le festival est en train d'arriver à un niveau très intéressant, et c'est un signe de réussite pour nous. Donc j'aimerais dire, en conclusion, vive les JMC, vive la musique, et il faut que nous soyons tous ensemble pour pousser de nouveaux projets, de nouveaux artistes. Ma joie est de voir de nouveaux artistes partir des JMC vers d'autres horizons et réussir ailleurs. Merci à vous.
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